(texte de C. Loth paru dans : Catherine Loth, Pierre Thomé, Jean-Jacques Schmoor, Patrick Beurard, L'Empreinte des Mots, éditions MEM/Arte Facts, Lyon, 1985, p.61)
quelques idées pour démarrer une histoire
Les enfants se sont décidés pour écrire une histoire. Qui, mais quel sera le thème de l'histoire ?
Le plus simple semble être de demander à chacun son avis. Ainsi avons-nous tergiversé pendant de longues semaines dans une classe de 6e : notre livre parlerait-il d'animaux, d'extraterrestres, de football... ? L'action aurait-elle lieu dans le futur, autrefois... ? La dispersion des idées était totale et ce ne fut guère facile de mettre tout le monde d'accord.
J'ai tenté une expérience beaucoup plus constructive dans une classe de CE 1. Sans nous poser trop de questions, nous avons commencé par une amusante séance de peinture. II s'agissait de déposer de la peinture de diverses couleurs (les trois primaires, par exemple) sur une feuille de papier dessin, en formant des taches. Cette feuille est ensuite pliée en deux, puis frottée pour que la peinture s'étale. Et on ouvre.
Pour que le dessin "fonctionne", il faut utiliser de la peinture suffisamment liquide, afin que les taches s'étalent et prennent des formes étranges.
La séance suivante consiste à "lire" les images obtenues, à essayer de reconnaître des formes connues. Après mise en commun, nous avons récolté une longue liste d'idées : (oeil, poisson, crevette, aile, pied, statue, chien, robot, traces de pas, etc.
Puis nous avons essayé de lier toutes ces idées. Voici quelques unes des propositions :
- dans un bois, un cheval en danger, un aigle et une fille...
- un cheval et un fantôme, un monstre et un chien...
- un cheval se promène...
- des enfants jouent au ballon...
II fut facile ensuite de dégager le fil conducteur de l'histoire. Ainsi est né, sans problème, le récit de "Promenade en forêt" . Les souhaits, les préoccupations des enfants se sont révélés spontanément, sans passer par la frustrante question : "qu'est ce qu'on va faire ?", sans directivité (qui n'est pas de mise a cette étape du travail.)
Le procédé sera probablement amélioré en faisant exécuter un seul dessin de taches pour toute la classe, qui pourrait être réalisé en grand format (50 x 65 cm, par exemple), par un groupe d'enfants. Les idées de la classe seraient davantage convergentes, mais toujours riches. Mais peut être préférerez-vous que les enfants trouvent eux-mêmes une solution à l'angoisse de la page blanche. Pourquoi pas ?
Une autre difficulté réside dans le fait qu'il est bien rare d'échapper aux clichés (influence de la télé), notamment dans la tranche CE 1-CE 2 où le conformisme semble l'emporter . Mais il s'avère que la consigne d'être obligatoirement original ne mène à rien puisqu'il est question alors d'établir un nouveau conformisme (celui qui plaît aux adultes, en général). Le seul espoir d'obtenir un "résultat" est certainement de casser toute possibilité de cliché dès le départ. Mais la chance est minime. On a eu recours à des procédés de compromis qui consistent à combiner les clichés et l'invention. Le plus simple consiste a créer un héros inventé de toute pièce et quasiment farfelu : le reninge ou le sabalitatère. Mélange hybride de plusieurs personnages qu'il s'agit de cerner en détail. Notons au passage que ce procédé correspond à l'imaginaire populaire le plus ancestral, manifesté par les chimères et les monstres mythologiques.
À partir de ce personnage qui possède un nom, l'histoire va s'articuler. II faudra trouver le ton ; peut être une façon simple de résoudre ce problème est l'utilisation du dialogue et du monologue, qu'on a soin de travailler en jouant les scènes jusqu'à ce que cela ressemble à du "vrai".
L'autre possibilité est un passage du cadavre exquis à la dimension récit. Le principe est le même que celui appliqué dans le procédé bien connu (sur le mode question-réponse par exemple). L'on définit rapidement le nombre de personnages. Un groupe d'enfants décide en secret d'un personnage. D'autres choisissent d'autres personnages sans connaissance de ce que choisissent les autres groupes. Enfin un groupe choisit en secret toujours le milieu (on a pu imposer une contrainte : la présence d'eau par exemple). Il serait étonnant que le résultat ne soit pas riche d'exploitation : exemple : un robot et un hippopotame dans un aquarium. Ces trois paramètres deviennent - particulièrement dans leur rencontre (comme la rencontre du célèbre parapluie et de la machine à coudre sur une table d'opération de Breton) - stimulants pour bâtir rapidement une histoire. Dans une classe de CP le synopsis fut bâti en trois quarts d'heure (quitte à enrichir l'ensemble dans un second temps).
Un exemple de taches à interpréter? et une interprétation proposée par la classe de C.E. 1 de Mme Pierre, École Belleroche Ouest
(Les reproductions sont celles du livre L'Empreinte des mots, et par conséquent en noir et blanc. Les originaux étaient le plus souvent en couleur)
L'empreinte des mots (1985), ouvrage collectif à propos d'une expérience d'animation scolaire.
Les contributions de C. Loth :
- Le travail de la poésie
- Quelques idées pour démarrer une histoire
- Un abécédaire aujourd'hui ! mais pourquoi faire ?
- la carte postale
- la linogravure, la gravure sur polystyrène, la fabrication du papier (textes concernant des techniques artistiques, non mis en ligne)
