Les Ouvrages de Jeune Fille Recluse, livre paru en 19821 est une sélection de notes prises de 1976 à 1979, pendant les dernières années de mes études aux Beaux-Arts. Ces notes concernent un ensemble de travaux cohérent (textes et uvres visuelles).
Ce cycle de travail date maintenant d'il y a près de 30 ans.
Beaucoup de choses ont changé depuis lors et une recontextualisation s'avère nécessaire.
Et avec la distance temporelle, je suis presque comme un lecteur extérieur à l'uvre.
L'expression "jeune fille recluse" apparaît très vite. Mais n'est pas explicitée.
Elle renvoie à un mode d'éducation des jeunes filles lié à la religion catholique, ainsi qu'à une attitude parentale surprotectrice. Couper du monde extérieur pour protéger du danger présumé.
Il s'agit de conceptions éducatives d'avant "1968", conceptions alors en voie de désuètude - comme une survivance du XIXe siècle.
Aujourd'hui l'expression "jeune fille recluse" fait penser davantage à des situations plus extrêmes telles des séquestrations2, ou au vécu des jeunes filles dans les milieux religieux intégristes (ce qu'alors je ne pouvais anticiper).
Il y a beaucoup de références à l'éducation, perçue sous ses aspects négatifs : par exemple l'apprentissage contraignant de l'écriture à la plume dès le jeune âge, la cruauté des cours de sciences naturelles (dissection...)
Ce qui amène à tout un univers cohérent d'objets : cahiers d'écriture, cahiers de leçons de choses, cahiers de devoirs de vacances, journaux intimes, albums de photos de famille, les collections, et leur rôle dans le cadre d'une personnalité à traits obsessionnels, d'une personnalité marquée par l'isolement.
Ces objets ont la particularité de pouvoir être facilement réinvestis dans le cadre d'une pratique artistique.
Beaucoup de références aussi à l'univers religieux.
Non pas la foi, mais le rituel, la contrainte, le refoulement du plaisir et de la sexualité.
La Sainte-Vierge comme modèle proposé aux jeunes filles catholiques dans les écoles confessionnelles : chasteté, maternité, dévouement... Avec l'éventualité de la vie monacale comme alternative.
La Jeune Fille Recluse est un personnage de fiction, fortement extrapolé à partir d'expériences personnelles (ennui de l'enfance, éducation primaire en école catholique, apprentissage de l'écriture au porte-plume).
Ce n'est pas un travail autobiographique, pourtant beaucoup de personnes l'ont ainsi perçu.
Ce qui a peut être suscité la confusion est que le livre entremêle deux niveaux d'écriture : le journal de travail de l'artiste (alors encore proche de l'adolescence), dont le travail en cours est, justement, le journal fictif d'une jeune fille.
L'écriture est sous la forme de fragments numérotés (dans le livre les numéros ne se suivent pas toujours), issus de notes prises dans des cahiers d'écolier (les Cahiers de Devoirs mensuels).
La ponctuation, que j'ai le plus souvent retranscrite telle quelle, n'est pas rigoureuse, j'ignorais et me souciais peu à l'époque des règles typographiques.
Ce journal de travail ne suit pas forcément une progression concertée.
Il y a du ressassement. Des idées reviennent qui sont à perfectionner sans cesse, à explorer aussi sous divers aspects.
Le projet évolue petit-à-petit, se modifie.
Il y a ce que je fais, ce que je m'imagine faire ou vouloir faire, mais que je ne réaliserai pas forcément.
Et mon point de vue sur tout cela.
On retrouve bien sûr quelque tics d'époque.
Certaines des notes proviennent de mes lectures (citations dont les sources n'ont le plus souvent pas été notées).
Plusieurs artistes et uvres ont marqué mes débuts, et leur influence est plus ou moins perceptible.
En 1974 ou 75, découverte "fondatrice" de l'uvre d'Annette Messager "Les Pensionnaires" (1971-72)3.
Seront également marquants Boltanski et ses Inventaires d'objets, Duchamp dont l'uvre utilise souvent les objets et parle de sexualité (La Mariée mise à nu par ses célibataires, Étant donnés [...] principalement), Michel Carrouges et son livre sur Les Machines célibataires4.
Les Ouvrages de Jeune Fille Recluse seront donc pour moi l'occasion d'une pratique artistique centrée sur l'objet (boîtes, cahiers...), à la fois comme thème de travail, et comme matériau.
Ils seront disposés dans l'espace sous forme d'« installations », ce qui n'était pas encore la forme d'art dominante dans ces années (on utilisait d'ailleurs le terme d'« environnements »).
Pendant mes études, j'avais trouvé peu de documents sur cette forme de travail, hormis en ce qui concerne les Surréalistes ou Marcel Duchamp. Cf. aussi le livre de Camille Bryen5.
La notion de mythologies personnelles6, les travaux sous forme de musées personnels, avaient également retenu mon attention.
Les Ouvrages de Jeune Fille Recluse ont été exposés en 1980 à la galerie Lieux de Relations, ainsi que dans le cadre de l'exposition "Tendances contemporaines Rhône-Alpes", à l'elac (Espace lyonnais d'art contemporain).
Je n'ai pas souhaité poursuivre dans cette voie tant à cause du malentendu sur la dimension prétendument autobiographique de ce travail, que par nécessité de prendre du recul et d'acquérir d'avantage de maturité.
L'exploration des possibilités du cahier d'écolier sera poursuivie sous la forme de la revue d'art et de poésie Cahiers de Leçons de Choses (1980 à 87).
Le changement de région (déménagement de Metz vers Lyon en 1979) ainsi qu'un séjour à Berlin (1982) amèneront de nouveaux questionnements, liés aux racines culturelles, exprimés par un cycle de travaux de plusieurs années autour de la "silhouette", qui évoluera vers une exploration de la forme et du rapport à l'espace.
À la fin de ce cycle, j'ai souhaité recentrer ma pratique sur une nouvelle approche du domaine affectif, à partir de l'écriture et des nouvelles opportunités offertes par les technologies numériques et le support internet.
Il peut être intéressant de comparer ces premiers travaux de la Jeune Fille Recluse et ma pratique actuelle7.
Il y a en effet des continuités, tant en ce qui concerne le rôle, la place de l'écriture, que l'intérêt pour le domaine affectif et l'intimité.
Mais à la différence de la Jeune Fille Recluse, une place est donnée à l'écoute du vécu d'autrui, et les uvres sont conçues de manière à pouvoir trouver un écho dans l'expérience intime de personnes des deux sexes.
À vous d'apprécier...
kl loth (février 2009 - juin 2010)
1 aux éditions mem/Arte Facts à Lyon.
2 Cf. la séquestration de Natascha Kampusch.
3 uvre acquise par le Musée national d'Art Moderne (actuellement au Centre Pompidou) suite à son exposition à l'ARC 2, Musée d'art moderne de la Ville de Paris, 25 avril - 2 juin 1974.
4 Michel Carrouges, Les Machines célibataires, Éditions du Chène, 1976, 1ère éd. 1930.
5 Référence non notée, peut être s'agit-il du livre de Daniel Abadie, Camille Bryen Abhomme, Bruxelles, La Connaissance, 1973.
6 Cf. Isabelle de Maison Rouge, Mythologies personnelles. L'art contemporain et l'intime, éd. Scala, 2004.
7 Cf. par exemple le site intimate-words.net.
Catherine LOTH, Ouvrages de Jeune Fille Recluse (le livre) :
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© kl loth
autres sites de kl loth :
intimate-words.net (sur le thème de la relation amoureuse)
Daily Life (prise de notes, micro-événements de la vie quotidienne)
secret-wound.org (quelques réflexions sur la condition de l'artiste dans la société)