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Notes pour une sémiologie de l’œuvre-monogramme
à propos d’une carte postale de KL Loth : « secret » 2005
(Michel Jeannès)

La mise en rapport d’éléments liés à l’onomastique avec les détails plastiques, fragments sémantiques, organise une lecture de l’ouvrage et met à jour un code organisateur qui « signe », pour ainsi dire celui-ci de l’intérieur. Ainsi, il nous apparaît particulièrement intéressant de tenter de mettre à jour pour en faire jouer les ressorts le chiffre qui sous-tend une œuvre récente de Kl Loth, carte postale datée de 2005 et intitulée « secret ».

Une carte postale comporte deux faces, le recto présentant le « visuel » et le recto comportant les indications nécessaires — titre, auteur, éditeur, droits divers — et destiné à l’écriture du message et de l’adresse du destinataire, du collage du timbre lui-même voué à la flamme postale qui — cachet faisant foi — inscrit l’envoi dans une unité de temps et d’espace.

Le recto de l’ouvrage que nous nous proposons de questionner présente la photographie noir et blanc d’une enveloppe postale. La face de l’enveloppe présentée est celle qui permet de caractériser l’objet par ses pliages, c’est à dire la face « verso » présentant le rabat triangulaire qui scelle le pli. Celui-ci est estampillé des six lettres du mot « secret ».
La matière de l’enveloppe comporte des aspérités et éléments hétérogènes caractéristique des enveloppes en papier recyclé ou artisanal, donnant une touche plus « subjective » au document et évoquant les cycles de fabrication « à l’ancienne » de la pâte à papier.

L’objet carte postale présente donc au recto une image d’enveloppe (verso) qui n’enveloppe rien d’autre que le principe d’en-volvere — c’est dire de retourner dans un mouvement circulaire l’objet dont le verso renvoie au recto et vice-versa. Circularité du message inscrit dans le médium et son rapport au corps. Lien entre l’œil qui lit et la main qui écrit, renvoyant à une relation plus ou moins fictionnelle entre expéditaire et destinateur.
Plus que dans le mot « secret » qui fonctionne comme clé de voûte de cet édifice, le mot « enveloppe » nous apparaît voiler les éléments monogrammatiques à l’œuvre. Tout d’abord, dans enveloppe il y a « velo » qui, s’il pourrait renvoyer à volere, voler — fonction d’Hermes le messager aux pieds ailés — est aussi l’anagramme de « love », mot d’amour à tenir (plus ou moins) secret et dont nous avons montré par ailleurs (1) qu’il constituait un analogon du patronyme Loth, entendu comme noyau des « intimate-words » mis au net (2).

Un autre niveau du secret auquel est invité le destinataire-regardeur-acteur est de trouver la clé du chiffre. Or, le morphème Kl (3) par lequel l’artiste définit son identité d’artiste est bien le key-word de cet espace à ouvrir ou dès qu’ouvert il s’évapore tel Eau de voilette (4). Le mot « enveloppe » a neuf lettres, à l’identique du prénom « Catherine ». Intimité chiffrée du petit-nom voilé par le pseudo professionnel et qui trouve moyen de se nicher dans la matière grise de ce qui est affiché. L’image lue est mise en mot et le mot est un chiffre qui, tel l’amour, prélude éternellement au renouveau. Le retournement de la carte postale, s’inscrit en boucle dans le système décimal et la virevolte du 9-neuf au 0-zéro se fait d’un tour de main.

Sur l’exemplaire qui nous a été adressé, l’artiste a introduit une nouvelle figure : « Ce n’est un secret pour personne ». La formule renvoie éveidemment au mot « secret » et au retournement du sens. Elle signifie aussi le secret connu de tous, communément nommé « de Polichinelle », du nom d’un personnage de la Comedia del Arte. Certte extrapolation, si elle est nôtre, nous amène toutefois à mettre en équation une concaténation — enveloppe-Polichinelle — prétexte à mot-valise — envelopolichinelle — figurant la vacuité d’une crypte ayant contenu un secret dont on a perdu le sens. Il en est souvent ainsi de certains secrets intergénérationnels vidés de contenu sans pour autant cesser de recouvrir (envelopper) ce qu’ils ont occulté et devenant moteurs d’un travail artistique.

Ce jeu entre enve(lop)pe et (Pol)ichinelle nous amène aussi à relever un deuxième ordonnancement, alphabétique cette fois : KLMN-OP... Ce segment d’alphabet fonctionne comme une matrice, un moule dans lequel se loge le morphème-clé (LOP/POL). Quant au SeCReT, il s’inscrit au pied de la lettre dans la suite alphabétique : MNOP...QRST, ce dernier quarté de lettres dissimulant, à peine anagrammisé, le mot SeQReT aux « e » muets.

CQFD (5).

Michel Jeannès - 3 mars 2006

(1) Cf notre analyse de la fonction du W/Double-You chez l’artiste.

(2) Consulter le site de l’artiste www.intimate-words.net

(3) Kl est à mettre en parallèle avec le morphème (cr), figure centrale du mot « se(cr)et » et altération du k en c et r en l.

(4) Oeuvre volatile de Marcel Duchamp, par ailleurs père de « a secret bruit ».

(5) D-montrer ou D-couvrir.


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à propos d’une carte postale de KL Loth : « secret » 2005

Sites internet : La Mercerie , La World Sunset Bank, et 1000emile.
Michel Jeannès est l'auteur du livre Zone d'intention poétique (paru en février 2005 aux éditions La Lettre volée, Bruxelles)

Voir aussi Bonjour Monsieur Bouton (Catherine Loth, 2002)