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art contemporain et écrits sur l'art
archives commentées des travaux actuels et passés de KL LOTH

 

(commentaire à rédiger)

 

DES CINQ SENS BLESSÉS
(ESQUISSE)“

"Reality’s a dream, a game in which I seem
to never find out just what I am
and yes it’s true
is it, in my head
is it in my head ?"

La Vue :
Il n’y a pas de clenche ; quand la porte de l’appartement n’est pas verrouillée, elle bat au vent. Pour pénétrer, un moment propice suffit à se glisser dans la fente : dès la belle saison, la fenêtre reste toujours ouverte laissant le spectacle du rez-de-chaussée à la portée du passant quelconque.
Couleurs violentes très chaudes. Sol en carrelage rouge puissant, murs blancs ; une sorte de fresque sur le mur (des lettres tronquées — de couleurs vives), un petit tableau noir, un dessin à la craie moderne très bariolé, à l’opposé un rond sombre entourant la porte, le reste à l’avenant, porte à rayures, coussins, un indescriptible désordre.
Un pupitre, un brouillon isolé inachevé.

Le Goût :
(quelques idées sur un brouillon sur un pupitre)
Vous voulez faire de la peinture ? Avant tout il vous faut vous couper la langue, parce que votre décision vous enlève le droit de vous exprimer autrement qu’avec vos pinceaux… disait le vieux maître aux jeunes étudiants (ce qui d’ailleurs ne l’empêcha pas de laisser matière suffisante à un ouvrage de plus de trois cent pages).

Les rapports scandaleux d’un peintre avec la littérature.
Et de quel droit retire-t-on à l’artiste usage et jouissance de tous ses organes ? Sachant que la communication entre individus — dont l’information sur l’œuvre d’art elle-même — passe automatiquement par le discours, lequel discours (entre parenthèses), détermine la hiérarchie du pouvoir…
C’est qu’un tout autre genre d’individu a charge de parler à la place de l’artiste. On voit de quoi je parle. « Bête comme un artiste »… l’artiste est bête ; il ne saurait faire ! (dirait-il plutôt ce qu’on voudrait ne pas l’entendre dire ?). Et le travail du critique, au lieu d’apparaître comme le résultat d’une collaboration fructueuse entre deux personnes d’égalité intellectuelle et tenant compte de l’apport original de l’intermédiaire ; est proclamé la vérité en art, la vérité de l’artiste, dont par axiome, il ne peut avoir conscience. Voici donc la porte grande ouverte aux interprétations de seconde main… déformation au moule de l’idéologie. Le critique a pour métier de… plaire, d’assurer l’harmonie des idées avec les valeurs du temps.
Voilà donc les rapports d’un artiste à la littérature déclarés scandaleux. Dorénavant il y aura double plaisir à prendre la plume : non seulement celui de l’écrivain mais également la jouissance de la transgression !*

L’Ouïe (Studio Sarre) :
Ich bin vermutlich wie die Tiere
Darum stehe ich so herum
und ich singe zum Klaviere meine Lieder Sum Sum Sum
Ich bin vermutlich wie die Steine
darum steh ich so herum
und ich singe ganz alleine meine Lieder Sum Sum Sum
Ich bin vermutlich wie die Vögel
darum steh ich so herum
und ich singe vvzzZv in zZzV der V zzRegelzz zzZv meine Lieder
zzzrr rzr ZZZZZRRRRRrrrrR RRbbrrvvv
vvvrrrRR RRRRRR rrRRRRRRRRRRRVRRRRVERRVR so heRRRum
und ich singe rrrRRnur zu RRRgarneRrrr meine LiederBBBRR
Sumrrr Sum Sumbbrr
KPL zzz KPL KPL…
(pour ce paragraphe, voir le fac-similé à la suite du texte)

En odeur (de sainteté) :
Sur une étagère, deux petits flacons de verre, hermétiquement clos. L’un rempli de sable gris, sable de la Baltique ; l’autre de papier froissé, soigneusement étiqueté « Odeur de Sainteté ». Et qu’y a-t-il d’écrit sur ce papier ? Quelques idées, négligemment jetées, conservées précieusement en vue d’un développement ultérieur :
— « Au fond pour un artiste d’Occident, l’emploi de la vidéo, technique moderne, tant prisée des officiels de l’art, équivaut à faire le portrait de Staline, là-bas ».
— « Pourquoi cette hypocrisie qui veut que l’on cautionne dans la littérature ce dont on n’admet pas forcément la vue ? Qu’en est-il alors de l’illustration des textes érotiques ? ».

Le Toucher (l’inspiration se tarit) :
Que dire de plus à propos de ce sens qui échappe tant au concept ? Sur un coussin, trône un chat endormi, roulé en boule. Ma boucle est bouclée. Que faut-il de plus ?

still
life is still
life is a still life
nature morte aux cinq sens

Catherine LOTH
Cahiers de Leçons de Choses n° 4, 4ème trimestre 1981

 

* J’entends déjà s’élever de nombreuses protestations : on me cite des noms, moultes noms d’artistes qui écrivent. Que dire ? Ce texte serait caricatural ? Et veut-on des faits précis ? Un rapide calcul permet de voir que dans le catalogue de la Biennale de Paris millésime 1980, sur les 160 artistes de la catégorie Arts plastiques, 48 pour cent ont effectivement écrit leur propre commentaire (lequel consiste le plus souvent en quelques pauvres lignes ne rendant que très imparfaitement compte de la richesse — supposée — de leur démarche, ou alors tombe dans l’excès inverse : pavé indigeste dédié à l’absolue vacuité suprême et autres concepts), 35 pour cent font appel à des critiques (textes le plus souvent honnêtes), 17 pour cent enfin « ne souhaitent pas de commentaire concernant leurs œuvres (sic) ».
Dernière constatation : quand l’artiste prend la plume, c’est trop souvent pour mimer l’écriture, le style de l’écrivain ou du critique. Même la revue Cahiers de Leçons de Choses se voit proposer, lorsqu’elle ouvre ses pages aux artistes, des pages où la préoccupation picturale a disparu. Qu’en résulte-t-il ? Un travail médiocre dans une catégorie où l’auteur n’excelle pas. Et rarement ce que j’attendrais de lui : un travail en profondeur, une remise en cause par un regard différent, un travail formel où sa spécificité serait mise en relief. Voilà la jouissance et le scandale dont je rêve.

 

Couverture du numéro
16,5 x 22 cm
illustration : "Le Discours de la buse"

 

au verso : "Le Burin de la buse"