Demande
dAide individuelle à la Création auprès du
FIACRE (1986)
Cette
demande de subvention présente un projet peut être mineur
par rapport à l'ensemble de mon travail. Ma motivation était
d'obtenir une aide afin de poursuivre mes recherches dans de meilleures
conditions.
Le texte du projet est un intéressant témoignage de ma
démarche.
Le cheminement
Dès
mes premiers travaux, en 76, jai souhaité rejeter l'espace
rectangulaire du tableau, son indépendance du lieu daccrochage
éventuel, lenfermement dans un cadre. Jai délaissé
également la "platitude" de limage bi-dimensionnelle
(1) et me suis donc intéressée aux objets de lenvironnement,
et tout particulièrement à ceux avec lesquels lindividu
entretient une relation privilégiée voire affective :
la boîte, le cahier, le journal intime. Ces recherches ont constitué
la série des Ouvrages de Jeune Fille Recluse dont létat
final a été présenté à la galerie
Lieux de Relations (Lyon) puis à lEspace Lyonnais
d 'Art Contemporain en 1980. Il sagissait dune installation
composée de neuf boîtes-vitrines enfermant des cahiers
et objets divers, ainsi que dune boîte "reliquaire"
présentée sur un "autel" ; le tout - sorte
de musée imaginaire -, par lintermediaire dobjets,
suggérant un processus narratif, autour d'une héroïne
absente. Je préciserai également que même lélaboration
de ce travail était dordre littéraire, puisque chacune
des uvres était précédée, non pas
de dessins, mais de notes préliminaires. Ces notes rassemblées
ont été publiées sous le titre Ouvrages de Jeune
Fille Recluse (2) et paradoxalement ont pu
exister indépendamment des uvres qui en étaient
pourtant la finalité. Jai ensuite rejeté ce fonctionnement
trop littéraire, recherchant dès lors une nouvelle pratique
qui tout en conservant lessentiel de mes motivations de départ,
mettrait davantage laccent sur la réalisation des uvres.
(Par la suite,
jexploitai de manière tout autre l'espace du cahier d'écolier,
en créant en 1980, les Cahiers de Leçons de Choses,
imprimés à l'origine sur papier d'écolier. Ce fut
loccasion dune réflexion sur les notions de support,
de duplication (exploitation limite et audacieuse dune offset
rudimentaire), de création plastique et graphique.
Un premier
séjour en Allemagne de lEst (1980), ma amenée
sur les lieux mêmes du romantisme allemand : l'Île
Rügen (en guise de souvenir, je fis prendre par un ami, une
photo de mon ombre sur le sable de la Baltique). Cest dans
le cadre dun séjour de plusieurs mois à Berlin en
82 (en tant quartiste boursier de lOffice Franco-Allemand
pour la Jeunesse), en prise directe avec lactualité
des arts plastiques de la scène berlinoise, que je me posai à
nouveau le problème de la figure et du tableau. Je choisis comme
première hypothèse de travail la fusion de la figure et
des contours de luvre, limportance laissée
au blanc du mur. Cette hypothèse de travail fut renforcée
par linterêt que je retrouvai dans les tableaux de Caspar
David Friedrich (où une silhouette sombre se détache sur
le paysage), ainsi que dans diverses images populaires allemandes, dont
celles du Scherenschnitt (silhouettes en papier noir découpé,
collées sur fond blanc). Le lien était fait avec l'une
de mes préoccupations majeures depuis mon installation à
Lyon en 79 : le questionnement de mes origines lorraines (jentrai
de plain-pied dans l'imagerie qui avait imprégné
mon enfance). Je réalisai donc, à partir dagrandissements
dimages du passé allemand, des silhouettes en contreplaqué
mécaniquement découpé (à la scie sauteuse),
couvertes, comme traversées de peinture. Je developpai
cette série de travaux jusquen fin 1983.
Cependant
quelques problèmes se posèrent vite : dabord
le rapport trop fort à limagerie passée et à
lanecdote ne me permettait ni dancrer ce travail dans la
réalité présente, ni de concerner un public étranger
à la culture allemande ; dautre part le coté
mécanique de la découpe du bois (opération que
jaurais pu déléguer à un tiers), sa matière
trop plane, ne me permettaient pas assez dintervenir de manière
personnelle.
Je décidai
alors dutiliser un support que je pourrais confectionner moi-même
: la pâte à papier. À partir de déchets broyés,
je constitue une surface de pâte étalée au sol.
En cours de séchage (quand la pâte commence à être
ferme), jélabore la figure par déchirements successifs.
Je travaille sans trace préalable, si ce nest un petit
croquis destinéà létude du mouvement de la
figure ; le résultat définitif inclut donc une prise
en compte dun "dialogue" avec le hasard de la déchirure.
Je provoque également des ondulations de la surface en cours
de séchage. La silhouette, déjà teintée
dans la masse, est pour finir peinte après accrochage au mur.
Ce changement de technique m'a permis très vite d'évoluer,
en influençant immédiatement la thématique des
figurines. Cette thématique, désormais liée à
la matière et à la relative imprécision des contours,
concerne directement le mouvement du corps par rapport à lespace
(le blanc du mur) : la course, le saut, la chute
Lexpression
que lon peut attribuer aux figures (joie, tristesse etc.) est
en fait une conséquence de la nature du mouvement dans l'espace,
et de ses connotations (maîtrise du mouvement, perte déquilibre
).
Les figurines sont élaborées lune après lautre,
individuellement dans latelier, sans associations préétablies
entre elles. Laccrochage dans un lieu dexposition permet
alors différentes combinaisons entre les figures, voire différents
jeux avec l'espace. Ainsi, lors de ma récente exposition personnelle
(Mars 86) à la Galerie ALMA (Lyon), ai-je utilisé
tout l'espace du mur, sur différentes hauteurs daccrochage,
allant jusquà suggérer une certaine circularité
dun espace pourtant presque carré (la danse, la ronde).
Le Projet
Le projet
consiste à poursuivre les recherches entreprises en intégrant
davantage les spécificités de l'espace daccrochage.
Il sagira de figures morcelées, à installer dans
les angles entre deux murs, ou entre mur et plafond, ou encore se prolongeant
hors du mur sur des socles de bois (à pan incliné).
Ces figures
seront réalisées en pâte à papier, sur la
base de 1,50 à 1,80 m dans leur plus grande dimension (une quinzaine
de pièces sont prévues dans cette optique). Je sollicite
une aide individuelle à la création auprès du FIACRE,
dans le but de pouvoir me consacrer entièrement pendant 6 mois
à la réalisation de ces uvres et à trouver
les moyens de diffusion et dexposition appropriés. Ce sera
par ailleurs loccasion dacquérir du matériel
pour la réalisation des uvres (notamment pour la préparation
du papier recyclé : actuellement le déchiquetage
du papier est fait manuellement de façon fastidieuse et ceci
sans justification dans le processus de réalisation).
Financement souhaité
[
]
Description de l'uvre (3)
Luvre
est réalisée en pâte à papier. Il sagit
de papier recyclé formé en feuilles épaisses, de
texture grossière, selon le procédé artisanal utilisant
cuve, cadre et couverte. La silhouette est obtenue par déchirure
de la pâte à papier encore humide. Ici ont été
utilisées une vingtaine de feuilles au format approximatif Din
A4, colorées dans la masse. Le relief, londulation produits
par le séchage sont délibérés. Le séchage
terminé, luvre est peinte par endroits.
L'uvre
s'accroche au mur soit par ruban adhésif double face, soit à
laide de petits clous (cette dernière méthode est
préférable) ; un schéma de montage est fourni,
chaque morceau est numéroté sur l'envers.
Lemploi
de la pâte à papier me permet une maîtrise beaucoup
plus grande des étapes de fabrication des silhouettes, notamment
lors de la découpe de celles-ci, ou une sorte de dialogue
sétablit avec le hasard de la déchirure du papier.
La texture de la matière et les ondulations que je peux donner
à la surface sont également primordiales. Auparavant je
réalisais des silhouettes en contreplaqué, découpées
à la scie sauteuse (4). Le passage
du bois à lutilisation de la pâte à papier
a également fait évoluer la thématique de mes uvres.
Catherine
Loth, 1986
Le
texte a fait l'objet de légères améliorations.
Les notes qui suivent sont rédigées en 2003.
(1)
Aujourd'hui en 2003, les installations sont le mode de création
dominant et cette problématique semble bien désuète.
Ce n'était nullement le cas en 1986, et encore moins en 1976 !
(2) Catherine LOTH, Ouvrages de jeune fille recluse, Lyon, éd.
mem/Arte Facts, 1983. Ce livre est toujours disponible sur commande.
(3)
Je ne sais
plus si ces quelques paragraphes font vraiment partie de ce projet.
Il s'agit vraisemblablement d'une description du travail réalisé
en Allemagne pour l'exposition "Correspondances" au Kunstverein
Springhornhof de Neuenkirchen bei Soltau, en 1985.
4) J'ignorais alors que je reviendrai à cette technique à
partir de 1988-89, différemment certes !